Pierre Lapointe
Octogénaire
On vient d’enlever ma mère et ce serait, paraît-il
De belles octogénaires condamnant les missiles
S’adonnant au plaisir, au plaisir de la chair
Toutes nues au milieu, au grand milieu des foules
Mais que fera ma mère, ornée d’octogénaires
Ne voulant que sa chaire?
Apprendra-t-elle ces gestes, ces manies et ces tiques
Qui riment avec l’amour du sexe de ma mère?
Me trouverai-je par terre à me battre à genoux
À frapper ces grands-mères
Celles qui m’ont volé ma mère?

Que diront les voisins, les journaux et les hommes
Qui ont souvent touché le sexe de ma mère?
Qui viendra me border le soir à mon coucher?
Moi qui ai tant de peurs, moi qui ne fais que pleurer
Peut-être l’aimera-t-elle, cette façon d’être belle
Cette façon d’être à elle, elle cette fausse pucelle
Qui dévalise les banques, qui vole les mamelles
Comme on prend un oiseau, comme on tue l’hirondelle


Que ferai-je de l’enfant conçu de l’intérieur
Qui restera de là, qui a le front malheur
À l’heure des Anglais qui ne savent même pas
Que je suis existant
L’autre côté des mers
L’autre côté des cieux
Acier parmi les dieux
Sans droit d’être debout
Restant là rayonnant à lire et à compter
Comme un enfant d’école
Comme un enfant créole aux mamelles d’argent
Que l’on a laissé briller, étendu, esseulé comme une
Pièce au soleil

Que diront les voisins, les journaux et les hommes
Qui ont souvent touché le sexe de ma mère?
Qui viendra me border le soir à mon coucher?
Moi qui ai tant de peurs, moi qui ne fais que pleurer
Peut-être l’aimera-t-elle, cette façon d’être belle
Cette façon d’être à elle, elle cette fausse pucelle
Qui dévalise les banques, qui vole les mamelles
Comme on prend un oiseau, comme on tue l’hirondelle