Charles Aznavour
Ce printemps-là
[Couplet 1]
Ce printemps-là, t'en souviens-tu ?
Les jeunes étaient descendus dans la rue
Ils voulaient en découdre, mettre le feu aux poudres
Le maître mot était "Révolution"
Moi c'était toi, mon horizon
De barricades en défilés
Le printemps éclatait de tous côtés
Toi au cœur de la houle, tu haranguais la foule
Criant : "Changeons les têtes et les lois !"
Moi j'étais fasciné par toi

[Couplet 2]
J'arrivais de ma province
Pour voir Paris et ses musées
Quand je me suis vu emporté, dans l'immense raz-de-marée
De ce Paris au mois de mai
Premiers émois, premiers regards
Moi qui venais d'un milieu campagnard
De façon naturelle, tu m'as pris sous ton aile
Et la nuit venue au creux de tes bras
Te souviens-tu ce printemps-là ?

[Couplet 3]
Tu avais vingt ans révolus
Moi je t'en ai menti quatre de plus
Tes cheveux en bataille, tu me semblais de taille
À gagner à toi seule les combats
Ma troublante pasionaria
En quelques jours tu m'as appris
Des choses essentielles de la vie
Qu'à la foire d'empoigne, la liberté se gagne
Aux prix de sacrifices quelquefois
Te souviens-tu de ces mots-là ?
[Couplet 4]
Ta passion devient la mienne
Et je te suivais pas à pas
Occupant des lieux ça et là, brisant ceci, brûlant cela
Contestant et l'ordre et l'État
Heureux de t'emboîter le pas
Ivre d'amour j'ai partagé ta foi
Toi ma soixante-huitarde, aux idées d'avant-garde
Je t'aurais suivie jusque l'au-delà
Te souviens-tu ce printemps-là ?

[Couplet 5]
Ça chauffait dur dans le quartier
Entre poursuites et jets de pavés
Cris stridents de sirènes, bombes lacrymogènes
Les matraques s'en donnaient à cœur joie
Te souviens-tu ce printemps-là ?
Les slogans étaient orchestrés
Des millions de voix criaient "liberté"
Interdit d'interdire, et cela va sans dire
L'amour libre et le droit à l'I.V.G
Les filles étaient déchainées

[Couplet 6]
Retranchés à la Sorbonne
Ou dans les universités
Entre des discours enflammés, soignant ses bosses et ses plaies
La jeunesse enfin s'exprimait
Et puis le calme est revenu
Ils ont vidé et nettoyé les rues
Tout à repris sa place, mais j'ai perdu ta trace
Dès lors je suis retourné au pays
Et souvent fois je me dis
Quand mon cœur me parle de toi :
"Te souviens-tu de ce printemps-là ?"