Guillaume Apollinaire
De toi depuis longtemps
Nîmes, le 11 mars 1915
De toi depuis longtemps je n'ai pas de nouvelles
Mais quels doux souvenirs sont ceux où tu te mêles,
Lou, mon amour lointain et ma divinité,
Souffre que ton dévot adore ta beauté !
C'est aujourd'hui le jour de la grande visite
Et, tous, mon cher amour nous partirons ensuite.
C'est question de jours. Je ne te verrai plus
Ils ne reviendront plus les beaux jours révolus...
Sais-je, mon cher amour, si tu m'aimes encore ?
Les trompettes du soir gémissent lentement
Ta photo devant moi, chère Lou, je t'adore
Et tu sembles sourire encore à ton amant.
J'ignore tout de toi ! Qu'es-tu donc devenue ?
Es-tu morte es-tu vive et l'as-tu renié
L'amour que tu promis un jour au canonnier.
Que je voudrais mourir sur la rive inconnue !
Que je voudrais mourir dans le bel Orient
Quand, Croisé, j'entrerai fier dans Constantinople.
Ton image à la main, mourir en souriant
Devant la douce mer d'azur et de sinople !..
Ô Lou, ma grande peine, ô Lou, mon cœur brisé,
Comme un doux son de cor ta voix sonne et résonne,
Ton regard attendri dont je me suis grisé
Je le revois lointain, lointain et qui s'étonne
Je baise tes cheveux, mon unique trésor,
Et qui de ton amour furent le premier gage
Ta voix, mon souvenir, s'éloigne, ô son du cor.
Ma vie est un beau livre et l'on tourne la page