Lucio Bukowski
Testament
[Couplet 1 - Lucio Bukowski]
Frères et sœurs, je vous laisse mes plus sincères pensées
Un roman manuscrit, deux albums à séquencer
Assez dansé : je signe et saute dans le dernier wagon
Dans la veste, un billet aller simple pour de chauds lagons
J’ai laissé sous l’oreiller le liquide d’une scène au black
Dans l’armoire un peu de sable dans une vieille bouteille opaque
De quoi bien remplir ce track, tristounet comme Léotard
Quelques vidéos en attendant de s’voir autre part
Des BD de Will Eisner, des CD d’Herbie Hancock
Un poster de Mickey Rourke, une breloque même pas en toc
Quelques sapes même pas en vogue, deux-trois créanciers en rogne
D’où je suis je me marre bien, j’ai du papier dans les pognes
Je n’suis plus dans l’époque mais j’y laisse de belles images
Une machine à écrire, une fausse dent, du lessivage
Un diplôme inachevé, un peu de jazz dans le sillage
Un joli texte quand l’existence a la gueule dans le cirage
Frères et sœurs, je vous laisse mon peu de possessions
Essentiellement des livres : on n’refait pas ses obsessions
Sauf qu’à la réflexion, on sait toujours ce qu’on perd
Des photos de moi petit devant le garage de mon père
Je refuse les pleurs, fêtons plutôt ça au Sauternes
J’économise les frais puisque le rap est mon notaire
Je punaise ce testament sur le frigo puis vous embrasse
Mon encre est une liqueur de minimum 28 ans d’âge
[Couplet 2 - Hippocampe Fou]
Madame le notaire, vous êtes charmante
Votre décolleté est effarant
L’idée de vous appeler "Maîtresse" est exaltante
Mais veillez à bien prendre note de mon testament
Je lègue tous mes organes à mon boucher
Sauf mon cerveau, lui je veux qu’il soit chouchouté
Placé dans un tupperware hermétique
Enterré au pied de mon arbre généalogique
Mon corps momifié, je le lègue au musée Grévin
Les nonnes se mordilleront les lèvres à la vue de mes mains
Je lègue mes dents de lait à mon gorille en peluche
Mon jardin secret sera public, immense, illustre
Je lègue à tous mes potes mes vieux films de cul
Ceux de la belle époque des pubis velus
J'veux bien une tombe à mon nom, qu’on lui pisse dessus
Plus rien n’est dégradant quand on n'existe plus
Je lègue mes larmes à la mer, mes soucis à la pluie
Ma folie à ma fille, ma flamme à sa mère
Mes dettes à mon banquier, mes affres à la nuit
Mes aphtes à Paris, mes textes au monde entier
Mais mes-mes mots d'passe internet, mon haleine de putois
Le moulage de mon zgeg, mon dessin d’Vegeta
Ma dernière cigarette non je n’les léguerai pas
J’ai mis ça aux enchères et c’est l’affaire du mois
[Couplet 3 - Anton Serra]
J’vous léguerai mes textes inachevés sur Word et mon vieux HP
Un lien sur l'bureau de toutes mes vidéos en HD
Un SM-58 comme pour le rap, j’étais en mode
Un carnet d'Tickets Restau’ et quelques pièces sur la commode
J’vous laisse aussi cette dernière bancale, car même parti en cendres
J’continue de vous faire chier, un paquet d'dettes, ces poubelles à descendre
J’voulais écrire cette lettre un peu plus tôt pour le partage
Mais c’n’est pas pour ce trésor que vous crierez "à l’abordage"
Car mon seul coffre s’trouve en bas d’chez mes yorks
D'une R12-ventouse sans essence, garée rue du Dauph'
Si les cadeaux s’empilent, pensez bien de n’pas rêver
Cassez la vitre et faites les fils car j’ai égaré les clés
Quand j’cherche les mots comme un bavard illettré
La gorge nouée j’ai que si peu à vous offrir, nécessiteux
Pauvre indigent je l’étais, plus b’soin d’gratter là où je suis
J’possédais pas d’compte, j’vous laisse une boîte de chocolats suisses
Pendant qu’j’y pense c’est pas con, j’vous lègue aussi ma chatte
Et sa litière sur l’balcon, le lieu de ce sublime suicide
Prenez-en soin, ses catons la démangent terriblement
Et une portée d’chatons, pensez à moi durant les miaulements
Y’a un tas d’cartons, d’objets désuets dans l’cagibi
Et une chapka du KGB
Ici au cas où j’oublie de le rapper, une copie en manuscrit
Évidemment j’ai tout prévu pour mon testament