Léo Ferré
On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans
On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans
— Un beau soir, foin des bocks et de la limonade
Des cafés tapageurs aux lustres éclatants !
— On va sous les tilleuls verts de la promenade

Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin !
L'air est parfois si doux, qu'on ferme la paupière ;
Le vent chargé de bruits, — la ville n'est pas loin, —
A des parfums de vigne et des parfums de bière...

*

— Voilà qu'on aperçoit un tout petit chiffon
D'azur sombre, еncadré d'une petite branchе
Piqué d'une mauvaise étoile, qui se fond
Avec de doux frissons, petite et toute blanche...

Nuit de juin ! Dix-sept ans ! — On se laisse griser
La sève est du champagne et vous monte à la tête...
On divague ; on se sent aux lèvres un baiser
Qui palpite là, comme une petite bête...

*

Le cœur fou Robinsonne à travers les romans
— Lorsque, dans la clarté d'un pâle réverbère
Passe une demoiselle aux petits airs charmants
Sous l'ombre du faux-col effrayant de son père...

Et, comme elle vous trouve immensément naïf
Tout en faisant trotter ses petites bottines
Elle se tourne, alerte et d'un mouvement vif...
— Sur vos lèvres alors meurent les cavatines...

*

Vous êtes amoureux. Loué jusqu'au mois d'août
Vous êtes amoureux. — Vos sonnets La font rire
Tous vos amis s'en vont, vous êtes mauvais goût
— Puis l'adorée, un soir, a daigné vous écrire... !
— Ce soir-là,... — vous rentrez aux cafés éclatants
Vous demandez des bocks ou de la limonade...
— On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans
Et qu'on a des tilleuls verts sur la promenade