Pierre Perret
T'as pas la couleur
Georges, mon grand frère
Si, pour notre bonheur
Tu revenais sur Terre
Pour y faire le chanteur
Égrener tes ballades
Tes savoureux huitains
Tu ne donnerais plus souvent l'aubade
À la radio le matin
Car par malchance
Les trois-quarts des stations
Cultivent l'indifférence
Pour la bonne chanson
Et même la mieux écrite
Qui n'a pas leur tampon
N'ira jamais sur leur playlist
En français, t'es marron
Ils diraient
T'as pas la couleur, t'as pas la couleur
Pour ma radio branchée
T'es plus sur le marché
T'as pas la couleur, t'as pas la couleur
Toute ta prosodie
Ne vaut plus un radis
Mon très cher Georges
Si tu es là-haut, vois-tu
Dans les rues qu'on s'égorge
Mais qu'on ne chante plus
Pas plus que sur les ondes
Les télés en gros plan
Où des braves gens confondent
Les flatulences et le talent
Georges, cher Georges
Aujourd'hui ta Margot
Malgré sa jolie gorge
Risquerait l'embargo
Dans ces stations services
Toutes en prêt à chanter
Le brillant cuistre de service
T'aurait vite écarté
Il dirait
T'as pas la couleur, t'as pas la couleur
Pour ma radio branchée
T'es plus sur le marché
Bref, mon cher Georges
L'Auvergnat n'est pas seul
Victime de ces coupe-gorge
Où l'on sert du tilleul
Cette charmante overdose
De bluettes insipides
L'auditeur à qui on l'impose
Est-il aussi stupide ?
Tu ne montras pas ta
Réelle consternation
Aux crétins qui interdirent ta
Mauvaise réputation
Colosse aux pieds d'argile
Verlaine et La Boétie
Ont subi les mêmes imbéciles
Et leur impéritie
T'as pas la couleur, t'as pas la couleur
Que ces mots de malheur
Ont fait verser de pleurs
Que de peuplades
De tribus et d'ethnies
Connurent bastonnades
Brimades et dénis
Le délit de sale gueule
Le syndrome du foncé
La vie entière jusqu'au linceul
On leur a ressassé
T'as pas la couleur, t'as pas la couleur
Eh oui, même aujourd'hui
C'est c' que partout l'on dit
T'as pas la couleur, t'as pas la couleur
Georges, comme tu le disais
Les cons s'arrêtent jamais