Pierre Perret
La Réforme de l'orthographe
Tous les cent ans, les néographes
Font une réforme de l'orthographe
En rognant les tentacules
Des gardiens de nos virgules
On voit alors nos gens de lettres
Chacun proteste à sa fenêtre
Mes consonnes, au nom du ciel !
Touche pas à mes voyelles !
La réforme de l'orthographe
M'eût pourtant évité des baffes
Quand je tombais dans le panneau
De charrette et de chariot
Le Roi pourtant fut bien le Roué
Le François devint le Français
Et Molière mit aussi
Un y à mercy
Le véritable sacrilège
Serait de suivre ce cortège
De vieilles lunes alambiquées
Éprises de compliqué
La réforme de l'orthographe
M'eût pourtant évité des baffes
Quand du tréfonds de ma détresse
J'oubliais toujours l' s
Croquemonsieur et tirebouchon
N'ont plus besoin d'un trait d'union
Croquemadame et tapecul
N'en auront plus non plus
Contremaîtresse et contrefoutre
Eux-mêmes ne pourront passer outre
Entrecuisse et entrechat
N'ont pas non plus le choix
La réforme de l'orthographe
M'eût pourtant évité des baffes
C'est les cuisseaux et les levrauts
Qui me rendent marteau
Faudra aussi laisser quimper
Dans nos chères onomatopées
Ce trait unissant froufrou
Yoyo pingpong troutrou
On pourra souder nos bluejeans
Nos ossobucos, nos pipelines
Vademecum exvoto
Feront partie du lot
La réforme de l'orthographe
M'eût pourtant évité des baffes
Mettre un t au bout de l'appât
Que n'avais-je fait là !
Et quand, malgré nos vieux réflexes
On posera plus nos circonflexes
Sur maîtresse et enchaîné
On fera un drôle de nez
Mais les générations prochaines
Qui mettront plus d'accent à chaînes
Jugeront que leurs aînés
Les ont longtemps traînées
La réforme de l'orthographe
Contrarie les paléographes
Depuis qu'un l vient d'être ôté