Gordon Zola est un auteur français, connu notamment dans la sphère pastichophile – des amateurs des nouvelles aventures de Tintin. Il fonde en 2004 sa première maison d’édition spécialisée dans la littérature humoristique : les éditions du Léopard Masqué. Il se fera connaître, un an plus tard, avec le succès public de son troisième titre : « Le Dada de Vinci ». Mais c’est véritablement en 2008 qu’il percera dans le milieu littéraire avec la sortie d’unе série de romans parodiques intituléе « Les Aventures de Saint-Tin et son ami Lou », lui attirant les foudres de Moulinsart – société détentrices des droits du personnage Tintin – ainsi que le soutien et la sympathie des pastichophiles.
Mais qu’en-est-il de son rapport à la parodie et à l’écriture ? C’est ce que nous allons voir.
Lorsqu’on recherche votre nom, on le trouve systématiquement accolé à la notion de parodie. Peut-on dire que vous êtes un parodiste ?
Pas vraiment. Je tente plutôt d'être un humoriste de la plume. Une parodie, c'est un décalage par rapport à un texte original. Or, avec "le Dada de Vinci" comme avec "C'est pas sorcier Harry", j'exploite le succès du référent pour recréer quelque chose de neuf et parfois de grinçant.
Vous avez réalisé un grand jeu de piste littéraire pour le livre "C'est pas sorcier Harry". Comment vous est venue l'idée de ce concours ? En combien de temps le 7e manuscrit a-t-il été trouvé ?
L'idée était de fédérer un grand nombre de lecteurs et de les amener à aller jusqu'au bout du livre. Il y en a qui décrochent, hélas ! Mais tout le monde a trouvé, c'était assez simple, il faut reconnaître. Il y a un gagnant qui est en train de se bronzer au Maroc pendant que je trime ! Argh !
Avez-vous rencontré des problèmes juridiques avec les auteurs du "Da Vinci Code" ou de "Harry Potter" ?
Aucun, hélas ! J'attends encore qu'on m'attaque. Imaginez l'aubaine. Ruiné mais célèbre !
En parlant de problème juridique, nous allons nous pencher sur l’œuvre qui a fait le plus de bruit : Saint-Tin et son ami Lou. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette œuvre ?
Les aventures de Saint-Tin et son ami Lou, ce sont les aventures du fils présumé de Tintin. J’ai créé il y a quelques années, en 2008 exactement, une série romanesque totalement délirante qui raconte les aventures du fils présumé de Tintin. Il y a 24 romans. Chaque roman est une parodie de l’album. Le fil rouge de la série c’est la quête de la mère. Saint-Tin, qui est un journaliste contemporain persuadé d’être le fils de Tintin, cherche la preuve de sa filiation en revivant toutes ses aventures. C’est une sorte de relecture totalement loufoque et burlesque de l’œuvre de Tintin.
Vous vous inspirez nettement des aventures de Tintin. D’où vous est venue cette idée ?
Je faisais du roman policier humoristique, que j’appelle du « poilar ». Du poilar poilant, du roman historico-déconnant… En travaillant ça, je cherchais un travail de plus longue haleine, qui pourrait me porter sur plusieurs années. J’ai cherché une œuvre à parodier et j’en ai trouvé deux exactement. La première c’est Tintin, qui est une œuvre qui parlait à tout le monde sur au moins trois générations. Une œuvre forte du 20e siècle. La deuxième œuvre, que je commence dès à présent, c’est James Bond, qui va bientôt arriver sur le marché. Pour Saint-Tin, l’idée de base c’était de travailler le côté parodique sur une œuvre complète et qui puisse parler à absolument tout le monde, quoi qu’on dise, quel que soit le personnage que l’on prenne en référence. Quand on dit le professeur Tournesol, ou Milou, on connecte à Tintin… C’est une des rares œuvres dont les éléments connexes sont automatiquement rattachés à Tintin.
Vous utilisez les codes de Tintin, mais sans évoquer Tintin et ses personnages ?
En fait, Saint-Tin étant le fils présumé, il va essayer de trouver la preuve de sa filiation. Il va se retrouver au fur et à mesure de l’aventure entouré d’une galerie de personnages qui sont les caricatures de ceux qu’on connaît. Par exemple il y a le professeur Margarine pour Tournesol… Tous les personnages importants ou secondaires sont là mais on va s’apercevoir au fur et à mesure de la série que le fait que les personnages soient autour de nous n’est pas une coïncidence. Il y a une raison à ça. On va la découvrir tranquillement comme dans un puzzle qui se construit peu à peu sous vos yeux. On peut lire à la fois les livres dans n’importe quel ordre, comme dans Tintin. Mais tout doucement le concept se fait jour au fur et à mesure de la lecture.
Vous misez aussi beaucoup sur les couvertures, qui sont assez atypiques puisqu’elles font référence aux albums de Tintin. Est-ce que c’est vous qui les réalisez ?
Je réalise le scénario des couvertures. Après, mon graphiste, qui est un excellent dessinateur, les réalise avec brio. J’ai vraiment tenu à garder l’élégance des couvertures d’Hergé. J’aurais pu faire quelque chose de plus transgressif, mais je voulais qu’on reconnaisse vraiment bien la référence. La charte graphique pour les Saint-Tin est très importante mais elle l’est pour l’ensemble de mes livres. Je pense que mes couvertures de livres sont à l’image de la déconnade permanente des livres que je produis.
« Le Crado pince fort », « Le Spectre du tocard »… Est-ce que trouver le titre parfait c’est le plus important ?
Le titre est très important pour l’ensemble de mon travail. J’ai deux contraintes. La première, c’est l’humour. Il faut que ce soit plus qu’humoristique, que ce soit burlesque, voire loufoque. Il faut que ça arrache quelques fous-rires. La deuxième contrainte, c’est effectivement le titre. J’adore trouver d’abord un titre et construire une histoire après. Ça permet de créer des nouveaux scénarios auxquels on n’aurait pas songé sans le jeu de mots du titre. Pour les Saint-Tin c’est clair. Quand vous avez « Le Crado pince fort » il faut à la fois rattraper le crabe aux pinces d’or, donc il faut effectivement faire la parodie du crabe aux pinces d’or. Mais il faut pas que dans la parodie on soit éloignés du Crado pince fort. Il faut qu’il y ait une histoire de type qu’on sent arriver de loin. Donc le clochard, effectivement, qui va s’intégrer dans l’histoire du crabe aux pinces d’or.
Comme vous utilisez l’univers de Tintin, vous aviez eu des soucis avec la maison Moulinsart, comment ça s’est terminé ?
Il y a quelques années maintenant, en 2009 exactement, on a été attaqués pour contrefaçon. On a d’abord été condamnés pour parasitisme, comme quoi on parasitait l’œuvre. Et puis on a fait appel, et deux ans plus tard on a gagné en appel intégralement avec trois points de jurisprudence sur le droit de la parodie. C’était une grosse grosse victoire qui m’a permis de continuer sereinement et de terminer la série de mes 24 romans.
C’est donc une victoire pour le burlesque et l’humour
Et pour le droit à la parodie. Très important. Pour choper des points de jurisprudence, il faut déjà se lever de bonne heure. Alors là c’était vraiment une surprise plutôt très agréable.
Pour en revenir à vos débuts, qu'est-ce qui vous a poussé à écrire votre premier livre ?
Une imagination débridée qui ne demandait qu'à sortir.
Pourriez-vous nous décrire la manière dont vous écrivez un livre ?
C'est assez bordélique ! Je choisis le titre et le genre. Par exemple, je veux travailler sur le réchauffement climatique... Donc, je choisis "La dérive des Incontinents" et j'y vais. Un plat léger et j'invente au fur et à mesure. Et cela donne : un prochain livre à pisser de rire !
En deux mots, comment bossez-vous ?
Depuis 2004, le commissaire Guillaume Suitaume est mon principal personnage, il a mené huit enquêtes. Le type d'aventures dans lequel je le fais évoluer m'a permis de construire le style dans lequel j'écris. De la même manière qu'il y a une construction littéraire quand vous écrivez un thriller, avec des codes à respecter, il y a aussi des codes et des techniques à respecter pour faire rire. C'est un travail de fond et de fourmi.
L'humour, ça doit être fait avec sérieux ?
J'ai la chance d'avoir beaucoup d'imagination, d'écrire tout le temps, et comme j'aime bosser ce n'est plus du travail, c'est un mode de vie. J'aimerais bien que, comme il y a eu les surréalistes, il y ait les "léopardistes" : une bande de déconneurs-bosseurs, produisant de la littérature bien écrite, un peu fous du roi, plus insolents que vulgaires.
C'est d'ailleurs plutôt rare, vous arrivez à être drôle sans être vulgaire...
On descend parfois au-dessous de la ceinture, mais par le biais de métaphores amusantes, jamais avec crudité.
Quelle est votre formation ?
Hélas... Ce que je vais dire ne va faire plaisir qu'aux étudiants amateurs de radiateurs. Après avoir raté le bac une première fois, je me suis inscrit en candidat libre mais je me suis sauvé avant la fin des épreuves. Comme j'étais musicien, que je composais, je suis parti à l'aventure avec un petit groupe, puis j'ai fait un peu de production dans la musique classique et le jazz, avant de bosser dans l'audiovisuel. J'ai même fait quelques films documentaires sur les écrivains qui se sont fait avaler par leur héros. Jusqu'au moment¬ où j'ai tout lâché pour créer les éditions du Léopard masqué en 2004. Disons que je suis un bosseur, l'archétype de l'autodidacte.
En dépit de ce parcours scolaire écourté, vous avez malgré tout des influences littéraires ?
Je suis un très gros lecteur, bien qu'aujourd'hui je ne lise plus que pour écrire. Je dévore des livres en rapport avec mon sujet, puis je laisse travailler mon imaginaire. Je suis plutôt de l'école de Simenon pour l'ouverture de masse et de celle de Céline pour l'amour du style. Je pourrais parler aussi de Romain Gary, René Fallet, Marcel Aymé. Quant à Frédéric Dard et San Antonio, aussi extraordinaire que ça puisse paraître, je l'ai découvert après avoir écrit mon premier livre, alors que je croyais avoir inventé la lune ! Du coup, j'en ai lu une centaine pour voir ce qu'il ne fallait pas que je fasse et que je m'en distingue.
C'est quoi la dernière chose délirante que vous ayez faite ?
Lors d'un salon à Montaigu, j'ai braqué les visiteurs avec mon colt 45 pour les forcer à acheter mes livres ! C'est un flingue en plastique vachement bien imité, mais quand les gens voyaient ma cravate léopard, ils percutaient et se prêtaient au jeu : du coup j'ai vendu plein de bouquins comme ça ! Sur les salons, je n'ai peur de rien. J'aime les gens, ils le sentent, on peut beaucoup déconner et ça passe très bien.
Aujourd'hui, vous écrivez, mais vous dirigez aussi le Léopard masqué, le Léopard démasqué, qui édite les aventures de Saint-Tin, ainsi que Tolège Éditions, éditeur de thrillers sur fond d'histoire religieuse. Ça fait combien de titres au total ?
Une quarantaine. Ça représente un gros travail éditorial, mais je crois qu'on a trouvé un créneau qui plaît aux lecteurs. Notre handicap, c'est le milieu du livre, qui est beaucoup trop sérieux et nombriliste à mon goût !
Les étudiants aussi sont parfois très sérieux, trop même, non ?
La jeunesse est un vivier d'invention, de contestation. Le problème, c'est qu'elle est nourrie avec des choses convenues¬. Aujourd'hui, on nous vend surtout la politique, le réchauffement climatique et l'écologie en général. C'est là-dessus que les gens ont des avis. Sorti de là, plus rien... Pourtant le quotidien ne se limite pas à ça. Or, j'ai l'impression que notre époque enferme les gens et les jeunes dans un système de pensée très fermé, très politiquement correct, qui s'interdit beaucoup de choses. Or, je crois qu'avec le second degré et une grande ouverture d'esprit, on peut tout dire.
Qu'est-ce que vous leur conseilleriez ?
De penser différemment, d'avoir une posture optimiste, positive et réaliste ! Tout est possible, mais il faut bosser. Ce n'est qu'en travaillant beaucoup que j'arrive à faire ce que je fais.