Simonie est un auteur français, spécialisé dans un domaine bien particulier : les pastiches. Bercé depuis sa jeunesse par la lecture des albums de Tintin, il a continué à s'intéresser au sujet même lorsque le héros de papier n'était plus dessiné par Hergé. Actif sur les forums depuis 2010, il finit par disparaître sans explication... jusqu'à cette année où il fait un "retour remarqué" avec la sortie de son essai sur les pastiches intitulé : "Pastichе, Pirate, Parodie. Qui est qui ?"
Mais qu’еn-est-il de son rapport au pastiche, à l’écriture ? Et où était-il durant toutes ces années ? C’est ce que nous allons voir.
Lorsqu’on tape Simonie sur Google, outre sa définition, on trouve le terme presque toujours associé aux notions de pastiches, parodies, pastichophilie... Wiki Tintin vous décrit comme ayant posé les bases du mouvement d'études des pastiches - la pastichologie. Comment en êtes-vous arrivé à ce stade-là ?
Déjà, rendons à César ce qui appartient à César, je n'ai pas inventé la pastichologie, c'est le chercheur belge Paul Aaron qui l'a fait. Je n'ai fait que reprendre ses concepts et ses théories pour les appliquer au neuvième art, là où il avait tendance à se focaliser sur la littérature.
Quant à savoir comment j'en suis arrivé là, c'est par pur hasard. J'étais simplement passionné par les albums de Tintin et frustré, comme beaucoup de lecteurs, par la fin inachevée de l'Alph-Art. Il ne m'a pas fallu longtemps avant de découvrir qu'il existait tout un univers caché où Tintin continuait d'exister... Et étant l'un des rares à poster mes trouvailles en public, je me suis rapidement fait un nom. Rien de fou.
Pourtant, vous êtes devenu une figure du monde tintinophile en surfant sur ce sujet tabou
Simplement parce que les lecteurs tintinophiles sont les plus actifs et font vivre au quotidien le petit reporter. Dans les faits, j'ai aussi parlé sur des forums de Picsou des pastiches de Don Rosa, ou encore sur des forums généralistes des pastiches de Snoopy... À la base, c'est le pastiche qui me passionne, pas simplement Tintin. Mais force est de constater que la question pastichophile est beaucoup plus discutée, débattue au sein de la communauté tintinophile et c'est ce qui rend ce sujet "tabou". Les lecteurs sont pour ou contre, avec des arguments solides, mais personne n'est neutre face à cette question.
C'est la raison vous ayant poussé à sortir votre essai ?
En partie. Faire un essai sur la pastichophilie en s'attardant sur le cas d'école emblématique qu'est Tintin me tentait depuis des années. On me relance régulièrement pour savoir si je vais sortir "L'Encyclopédie Pastichophile", alors c'était ma manière de clore le sujet en apportant des réponses aux gens qui en avaient besoin. Il est facile de taper sur Moulinsart, qui défend simplement ses intérêts, ou sur les pastichophiles, qui veulent juste faire perdurer la nostalgie d'une série qui a bercé leur enfance, mais il est souvent beaucoup plus difficile d'expliquer dans un débat animé d'où viennent réellement les pastiches et quels rôles ils ont pu jouer pendant des années...
Nous en venons à la question que tout le monde se pose : à quand la sortie de "L'Encyclopédie Pastichophile" ?
Je m'y attendais (rire). Mais cet ouvrage ne sortira jamais, sa place est dans les méandres de mon ancien disque dur. Il date d'il y a plus de dix ans, il est resté inachevé, et pour des raisons juridiques, il serait impossible de le sortir. Et j'ai d'autres projets pour l'avenir, qui n'ont rien à voir avec Tintin, donc je ne vais pas m'amuser à reprendre de vieilles chimères juste par nostalgie.
En parlant de problème juridique, n'avez-vous pas peur de la réaction de Moulinsart à la sortie de votre essai ?
Je ne suis pas devin et je ne peux malheureusement pas prévoir quelle sera leur réaction, mais j'ai essayé d'être le plus réglo concernant cet essai. Il ne possède aucune image d'Hergé, ne contient pas "Tintin" ou "Hergé" dans le titre, est uniquement analytique, le discours y est neutre et l'ouvrage sera tiré en seulement 100 exemplaires, dont une grande partie réservée à mes proches, sans réédition possible. Seules les images issues de pastiches présentes à l'intérieur de l'ouvrage pourraient les froisser, mais encore une fois, on y voit les signatures des pasticheurs et dans le contexte de cet essai, aucune confusion n'est possible.
De plus, ils n'ont pas grand chose à craindre de moi, c'est le premier et le dernier essai sur Tintin que je sors.
Pourquoi faire de ce premier manuel pastichophile un unique essai à faible tirage et quels sont vos futurs projets ?
Parce que le but de cet ouvrage n'est pas d'être un best-seller. Il a juste pour but de combler un vide dans le monde tintinophile, celui d'apporter des réponses aux lecteurs curieux et de rassembler dans un seul livre tout l'historique de la création de cette niche littéraire. Car il ne faut pas oublier que la pastichophilie, ça reste une niche, donc il n'y aurait pas grand intérêt à faire de gros tirages.
Pour les futurs projets, je vais rester discret... Je peux simplement dire que ça n'a plus aucun rapport avec Tintin et que ça concerne deux genres littéraires assez éloignés de la non-fiction : les livres pour enfants et la fantasy.
Comment expliquer ce désir de se tourner vers un genre littéraire diamétralement opposé ? Et d'où vient cette idée ?
Tintin n'est pas le seul univers m'ayant fait voyager lorsque j'étais petit, je n'ai jamais souhaité m'enfermer dans une seule case. Et puis, si les gens veulent des ouvrages analytiques parlant des héros d'Hergé, il y a mille et un auteurs bien plus talentueux que moi (rire).
Quant à l'idée de tenter l'aventure dans l'écriture d'un livre pour enfants et d'un roman de fantasy, elle vient de deux collègues pastichophiles... Au Dinard BD Festival, pour me vanner, Bob Garcia et Gordon Zola m'ont fait comprendre que j'étais bon lorsque ça parlait de pastiches, mais qu'on ignorait ce que je valais si je sortais de ma zone de confort. Donc j'ai pris ce défi au premier degré, j'en ai parlé aux Éditions Chalcédoine, à des amis illustrateurs et je vais essayer de voir ce que ça donne... sans savoir où ça va me mener.
Vous n'avez pas peur que les gens ne vous suivent plus si vos nouveaux projets n'impliquent pas les pastiches ou Tintin ? Changer de nom d'auteur ne serait pas une meilleure façon de tourner la page et de faire ses adieux à cet univers pastichophile ?
Dans tous les cas, ça risque de ne pas être le même public. Et je me suis en effet posé la question de changer de nom... Mais les auteurs et autrices que j'ai pu rencontrer, avec qui j'ai pu sympathiser, me connaissent sous cet alias et il serait étrange de revenir sur ces salons avec un nouveau pseudo. Et puis, les parents et grands-parents ayant apprécié le Simonie pastichologue feront peut-être apprécier à leurs enfants et petits-enfants le Simonie scénariste ? Qui sait...
Mais je ne tourne pas totalement la page de la pastichophilie, lorsque j'aurais un peu de temps, je garderai un œil curieux sur les nouveautés, sur ce qui se passe, ce qui se dit. Mais ça sera en tant que lecteur ce coup-ci.
Pour en revenir à vos débuts, qu'est-ce qui vous a poussé à poster vos premiers messages sur des forums, puis d'enchaîner sur le projet d'encyclopédie, pour finir par cet essai ?
J'étais assez jeune quand j'ai découvert tout ce petit monde pastichophile, et comme je ne savais pas où échanger sur ce sujet et avec qui, le plus simple c'était de le faire sur les forums. L'anonymat des forums nous permet d'être sur le même pied d'égalité que les autres internautes, peu importe la situation géographique, la classe sociale, l'origine, l'âge, etc. Seule la passion nous rassemble. C'est comme ça que j'ai commencé à faire des fiches présentation qui parlaient des pastiches, des parodies et des pirates de Tintin. Pour éviter de voir les gens s'étonner de trouver dans les braderies un "Tintin secret", "Tintin caché", voire un "faux Tintin". C'était aussi une façon de partager ce que je savais, et ça semblait intéresser des gens.
L'Encyclopédie, j'ai commencé à bosser dessus en mars 2013, suite à de nombreuses demandes. Les gens trouvaient ça sympa de faire des fiches sur les forums, mais ils préféraient l'idée d'avoir un ouvrage papier où étaient expliquées méthodiquement les connaissances pastichophiles. J'y ai passé des heures durant les quelques années qui suivirent, et plus je creusais certains sujets, plus je découvrais de nouvelles choses, c'était sans fin.
Au final, quand je suis arrivé dans les grandes études (oui, quand je dis que j'étais jeune, j'étais jeune), je n'ai plus eu beaucoup de temps à consacrer à cette passion. Ce n'est qu'après ma thèse en linguistique que j'ai décidé de replonger mon nez dedans. Et comme je ne voulais pas revenir la fleur au fusil, j'ai décidé de m'atteler à l'écriture de "Pastiche, Pirate, Parodie". J'ai pioché dans mes archives et après quelques semaines de nuits blanches, l'ouvrage a vu le jour.
Pourriez-vous nous décrire la manière dont vous avez écrit ce livre ?
C'était assez méthodique ! J'ai commencé par faire le point sur tout ce qu'il me restait sur les recherches que j'avais pu faire à l'époque, les bribes d'interviews, les témoignages... Puis j'ai dû me mettre à jour sur ce que j'avais loupé durant ces 5 années. Je savais qu'il fallait un ouvrage qui puisse contenter les gens qui attendaient encore l'Encyclopédie, tout en leur faisant comprendre qu'elle ne sortirait jamais. Donc je devais mettre quelques illustrations de pasticheurs, dont certains inédites. Le tout en faisant attention à l'aspect légal : très faible tirage, pas de mention de Tintin ou d'Hergé sur la couverture, pas d'incitation au non-respect des droits d'auteur... C'est pour ça que la couverture représente des ombres parodiant une image virale d'internet de trois spider-man se pointant du doigt. La décision de ne pas représenter Tintin ou Hergé a été prise avec le dessinateur, au grand dam de quelques passionnés.
Rédiger un ouvrage analytique sur ce sujet revient à marcher sur des œufs du début à la fin sur la forme. Pour le fond, c'est moins compliqué, les citations étant scientifiques, je ne prends pas de risque, je ne prends pas parti, je cite simplement.
Le plus dur c'est de rester objectif sur un sujet qui nous passionne.
Et par rapport à votre routine de travail, comment bossez-vous ?
Au moment où je me suis décidé à rédiger cet essai, je suis passé à temps partiel pour avoir le temps de le faire. Donc j'écrivais les jours où je ne bossais pas et le soir en rentrant du boulot. De toute manière, j'ai toujours été plus inspiré le soir, voire la nuit, que le matin ou la journée. Je trouve que la nuit est plus propice à l'écriture, ne serait-ce que pour le calme qui nous entoure...
Vous parliez de vos études, quelle est votre formation ?
Rien qui ne me destinait, un jour, à écrire un livre. J'ai commencé avec une filière littéraire, puis je suis allé en Licence de communication, avant d'embrayer sur un Master en sociolinguistique, puis un Doctorat en linguistique. Au final, je me suis rendu compte au bout de toutes ces années que ce n'est pas réellement ce que je voulais faire. Le métier du livre m'a toujours tenté et je me suis dit que la meilleure manière de voir si ça pouvait me plaire, c'était de le faire avec un ouvrage à tout petit tirage sur lequel j'avais quelques connaissances. C'est ainsi que "Pastiche, Pirate, Parodie" a vu le jour.
Mais si ce livre fonctionne, les gens attendront peut-être d'autres ouvrages sur la même thématique ?
Un tirage aussi confidentiel ne permettra pas de voir si le livre fonctionne ou non. C'est surtout pour dépasser la barrière du virtuel. Ce n'est pas ça qui me donnera un nom en tant qu'auteur, mais ça me permettra d'avoir un aperçu de ce que peut-être le monde du livre.
Et même si les gens ont envie de lire des ouvrages analytiques sur Tintin, ils pourront toujours le faire avec d'autres auteurs talentueux qui publient de nouveaux ouvrage chaque année. Quant à la pastichophilie, il y aurait certainement d'autres choses à dire, mais pas assez pour refaire un ouvrage de 128 pages.
Et puis, c'est aussi l'envie de challenge. Je sais ce que je vaux sur un thème que je maîtrise depuis plus de 10 ans, mais je ne sais pas du tout si je suis bon pour faire un roman ou un livre pour enfants. C'est là que ça devient intéressant !
Qu'est-ce que vous conseilleriez aux personnes hésitant à se lancer en tant qu'auteur ?
D'essayer de trouver un thème qu'ils connaissent, qu'ils maîtrisent, ou qui les rend curieux. Il n'y a rien de plus facile aujourd'hui avec internet, les petites maisons d'édition voire l'autoédition, il suffit simplement de bien se renseigner, puis de faire quelques tirages. Si le thème n'est pas aussi restrictif que celui des pastiches, alors ils pourront essayer de le vendre à des ami(e)s, sur des salons, sur des marchés... là où les gens lisent. Et il faut toujours garder à l'esprit que si ce qu'on fait nous intéresse, il y aura forcément quelqu'un d'autre sur cette Terre que ça pourra aussi intéresser.
Au final, le conseil s'applique à tout le monde, pas simplement aux auteurs : la vie est trop courte pour se prendre la tête, mettez de côté et faites ce que vous aimez !