Renan Luce
J’habitais là
A ma porte j'entends qu'on frappait trois coups timides
Un homme que la vieillesse drapait de jolies rides
Comme on se retrouve face à face, je sens qu'il cherche
Un truc à dire mais un ange passe, j'lui tend une perche :
"Vendriez-vous quelque chose ?
Calendriers, chats qui posent ?
Pour votre hospice, une tombola ?"
Mais il me glisse : "J'habitais là"

Je n'ai pas su quoi lui répondre à part : "Entrez
Le temps que coule un café sombre vous m'raconterez"
Ça a dû changer j'imagine, j'le sens paumé
Américaine est la cuisine, cloisons gommées
Il me dit : "Je cherche, je sais même pas quoi
Souvenirs de flèches et de carquois
Mes soldats de plomb peuvent plus se battre
Dans votre maison en placo-plâtre"
Mais quoi ? j'allais pas lui remonter des cloisons
A l'entendre j'avais pillé sa maison
Mais la porte des souvenirs reste toujours entrebâillée

Alors j'ai pris un bout de craie, sur le sol
J'ai dessiné quelques grand traits, pour qu'il recolle
Ses souvenirs qui foutaient le camp, ensevelis
"Là bas le piano de maman, ici mon lit
Cette nuit là, le plancher craque
Mon grand frère dort pas, remplit un sac
Il me chuchote : "Faut qu'tu t'rendormes"
Je vois qu'il porte un uniforme"

Je n'ai pas su quoi lui répondre, mais j'ai compris
Ce qu'il y avait dans la pénombre et qu'on lui a pris
Une enfance qui s'évapore et r'viendra pas
Il murmura une fois encore : "J'habitais là"