Charles Aznavour
La mer à boire
A l'époque où la mer à boire
Était à boire sans payer
J'ai tout essayé pour le croire
Et j'ai tout bu sans essayer
A l'âge des pommes pas mûres
On est prêt à n'importe quoi
Mais c'est un âge qui ne dure
Pas plus que le rêve ou la foi
La mer à boire est un exploit
Qui n'a jamais grande importance
Beaucoup l'ont bue bien avant moi
Et bien plus vite qu'on le pense
Moi-même, je l'ai bue souvent
Sans soif aucune, je vous jure
Mais pour remonter le courant
Ou faire ma bouche plus pure
J'ai visité la mer à boire
Le paysage en est exquis
On a presque peine à le croire
Je me crus en pays conquis
Les visages de ma jeunesse
Y folâtraient allègrement
J'y reconnus quelques faiblesses
Et la plupart de mes tourments
C'est une mer étrange et belle
A vrai dire, et tous les serments
Que me prêtèrent quelques belles
Y trouvèrent leur dénouement
Car tout finit, sur cette Terre
Un matin, par se dénouer
Le peu qu'il reste de mystère
Est trop facile à déjouer
La mer à boire est d'un autre âge
On sait qu'on n'y reviendra plus
Nous avons perdu les visages
Enfouis au paradis perdu
Si vite s'éteint la mémoire
Et les secrets de nos vingt ans
Sont noyés dans la mer à boire
Comment serais-je encore content ?
A l'époque où la mer à boire
Était à boire sans payer
J'ai tout essayé pour le croire
Et j'ai tout bu sans essayer
A l'âge des pommes pas mûres
On est prêt à n'importe quoi
Mais c'est un âge qui ne dure
Pas plus que le rêve ou la foi
Elle vit, la mer à boire
Tout au fond de la mémoire
De tempête en tempête
Elle remonte à la tête
Elle vit, la mer à boire