Léo Ferré
La vie d’artiste
Je t'ai rencontrée par hasard
Ici, ailleurs ou autre part
Il se peut que tu t'en souviennes
Sans se connaître on s'est aimés
Et même si ce n'est pas vrai
Il faut croire à l'histoire ancienne
Je t'ai donné ce que j'avais
De quoi chanter, de quoi rêver
Et tu croyais en ma bohème
Mais si tu pensais à vingt ans
Qu'on peut vivre de l'air du temps
Ton point de vue n'est plus le même
Cette fameuse fin du mois
Qui depuis qu'on est toi et moi
Nous revient sept fois par semaine
Et nos soirées sans cinéma
Et mon succès qui ne vient pas
Et notre pitance incertaine
Tu vois je n'ai rien oublié
Dans ce bilan triste à pleurer
Qui constate notre faillite
" Il te reste encore de beaux jours
Profites-en mon pauvre amour
Les belles années passent vite."
Et maintenant tu vas partir
Tous les deux nous allons vieillir
Chacun pour soi, comme c'est triste
Tu peux remporter le phono
Moi je conserve le piano
Je continue ma vie d'artiste
Plus tard sans trop savoir pourquoi
Un étranger, un maladroit
Lisant mon nom sur une affiche
Te parlera de mes succès
Mais un peu triste toi qui sais
" Tu lui diras que je m'en fiche...
Que je m'en fiche..."