Léo Ferré
À Celle qui est trop gaie
Ta tête, ton geste, ton air
Sont beaux comme un beau paysage;
Le rire joue en ton visage
Comme un vent frais dans un ciel clair
Le passant chagrin que tu frôles
Est ébloui par la santé
Qui jaillit comme une clarté
De tes bras et de tes épaules
Les retentissantes couleurs
Dont tu parsèmes tes toilettes
Jettent dans l'esprit des poètes
L'image d'un ballet dе fleurs
Ces robes follеs sont l'emblème
De ton esprit bariolé;
Folle dont je suis affolé
Je te hais autant que je t'aime!
Quelquefois dans un beau jardin
Où je traînais mon atonie
J'ai senti, comme une ironie
Le soleil déchirer mon sein
Et le printemps et la verdure
Ont tant humilié mon coeur
Que j'ai puni sur une fleur
L'insolence de la Nature
Ainsi je voudrais, une nuit
Quand l'heure des voluptés sonne
Vers les trésors de ta personne
Comme un lâche, ramper sans bruit
Pour châtier ta chair joyeuse
Pour meurtrir ton sein pardonné
Et faire à ton flanc étonné
Une blessure large et creuse
Et, vertigineuse douceur!
À travers ces lèvres nouvelles
Plus éclatantes et plus belles
T'infuser mon venin, ma soeur!