Léo Ferré
On n’est pas des saint
On n’est pas des saints
Pour la béatitude
On n’a qu’ Cin-zano
Pauvres orphelins
On prie par habitude
Pour Notre Pèr’-Nod
Monsieur le Curé
Se signe quand on passe
Comme s’il voyait
Le Diable dans sa glace
Nous on n’a rien dit
On n’est pas d’ici
Des boîtes à chansons
Que l’on nourrit d’oseille
Et d’accordéon
Et puis le patron
Qui montre sa bouteille
Pour des picaillons
Des clients par-ci
Qui arrosent leur peine
Des clients par-là
Qui boivent leur quinzaine
En zinc ou en bois
Au comptoir on boit
On a le bras long
Le long des demoiselles
Qu’on met sur le dos
On fleurit le long
Le long de leurs dentelles
Qui font le gros lot
On se lève tard
Au soleil des caresses
Vers midi moins l’ quart
Juste après la grand-messe
On tir’ comme on peut
Le diabl’ par la queue
Quand le beaujolais
Au café du commerce
Vide ses coteaux
Qu’on soit beau ou laid
Le soleil vous transperce
Comme un fin couteau
Si tu vis longtemps
C’est pas de vichy-fraise
Mais d’un différend
Avec le Pèr’ Lachaise
Dans l’ zinc ou dans l’ bois
Un mort ça boit pas
On n’est pas des loups
Mais dans la bergerie
On file ou l’on laine
Pauvres manitous
On manie tout c’ qui brille
Tout passe à l’As-maine
On est des chrétiens
Mais faut pas nous la faire
Sacré non d’un tien
Vaut mieux qu’ t’auras la paire
Chacun ses ennuis
On n’est pas d’ici
Ah le joli son
Qui monte des bouteilles
Sonnant du bouchon
Comme un vieux clairon
Sur le champ des merveilles
Sonne du canon
C’est vers les midi
Que se gagnent les guerres
Quand on introduit
Le caporal Sancerre
Dans not’ paradis
Qui n’est pas d’ici
Quand on s’ra des saints
On foutra tout lon laire
Ici là et là
On s’ra entre amis
Et dans nos ministères
On f’ra la java
Monsieur le Curé
Entre deux vobiscomes
Ira s’ r’habiller
À la façon des hommes
C’est c’ qu’on lui dira
Quand on radin’ra
Quand ici on s’ra