Léo Ferré
La servante au grand cœur
La servante au grand cœur dont vous étiez jalouse
Et qui dort son sommeil sous une humble pelouse
Nous devrions pourtant lui porter quelques fleurs
Les morts, les pauvres morts, ont de grandes douleurs
Et quand Octobre souffle, émondeur des vieux arbres
Son vent mélancolique à l'entour de leurs marbres
Certe, ils doivent trouver les vivants bien ingrats
À dormir, comme ils font, chaudement dans leurs draps
Tandis quе, dévorés de noires songeriеs
Sans compagnon de lit, sans bonnes causeries
Vieux squelettes gelés travaillés par le ver
Ils sentent s'égoutter les neiges de l'hiver
Et le siècle couler, sans qu'amis ni famille
Remplacent les lambeaux qui pendent à leur grille
Lorsque la bûche siffle et chante, si le soir
Calme, dans le fauteuil, je la voyais s'asseoir
Si, par une nuit bleue et froide de décembre
Je la trouvais tapie en un coin de ma chambre
Grave, et venant du fond de son lit éternel
Couver l'enfant grandi de son œil maternel
Que pourrais-je répondre à cette âme pieuse
Voyant tomber des pleurs de sa paupière creuse ?