Léo Ferré
Nuits d’absence
II est des nuits où je m'absente
Discrètement, secrètement
Mon image seule est présente
Elle a mon front, mes vêtements
C'est mon sosie dans cette glace
C'est mon double de cinéma
À ce reflet qui me remplace
Tu jurerais... que je suis là

Mais je survole en deltaplane
Lеs sommets bleus des Pyrénéеs
En Andorre-la-Catalane
Je laisse aller ma destinée
Je foule aux pieds un champ de seigle
Ou bien, peut-être, un champ de blé
Dans les airs, j'ai croisé des aigles
Et je croyais... leur ressembler

Le vent d'été, parfois, m'entraîne
Trop loin, c'est un risque à courir
Dans le tumulte des arènes
Je suis tout ce qui doit mourir
Je suis la pauvre haridelle
Au ventre ouvert par le toro
Je suis le toro qui chancelle
Je suis la peur... du torero

Jour de semaine ou bien dimanche ?
Tout frissonnant dans le dégel
Je suis au bord de la mer Blanche
Dans la nuit blanche d'Arkhangelsk
J'interpelle des marins ivres
Autant d'alcool que de sommeil :
« Cet éclat blême sur le givre
Est-ce la lune... ou le soleil ? »

Le jour pâle attriste les meubles
Et voilà, c'est déjà demain
Le gel persiste aux yeux aveugles
De mon chien qui cherche ma main
Et toi, tu dors dans le silence
Où, sans moi, tu sais recouvrer
Ce visage calme d'enfance
Qui m'attendrit... jusqu'à pleurer
Il est des nuits où je m'absente
Discrètement, secrètement
Mon image seule est présente
Elle a mon front mes vêtements
C'est mon sosie dans cette glace
C'est mon double de cinéma
À ce reflet qui me remplace
Tu jurerais... que je suis là

Il est des nuits où je m'absente
Discrètement... secrètement...