Léo Ferré
Les métamorphoses du vampire
La femme cependant, de sa bouche de fraise
En se tordant ainsi qu'un serpent sur la braise
Et pétrissant ses seins sur le fer de son busc
Laissait couler ces mots tout imprégnés de musc :
" Moi, j'ai la lèvre humide, et je sais la science
De perdre au fond d'un lit l'antique conscience
Je sèche tous les pleurs sur mes seins triomphants
Et fais rire les vieux du rire des enfants
Je remplace, pour qui me voit nue et sans voiles
La lune, le soleil, le ciel et les étoiles !
Je suis, mon cher savant, si docte aux Voluptés
Lorsque j'étouffe un homme en mes bras redoutés
Ou lorsque j'abandonne aux morsures mon buste
Timide et libertine, et fragile et robuste
Que sur ces matelas qui se pâment d'émoi
Les anges impuissants se damneraient pour moi ! "

Quand elle eut de mes os sucé toute la moelle
Et que languissamment je me tournai vers elle
Pour lui rendre un baiser d'amour, je ne vis plus
Qu'une outre aux flancs gluants, toute pleine de pus !
Je fermai les deux yeux, dans ma froide épouvante
Et quand je les rouvris à la clarté vivante
A mes côtés, au lieu du mannequin puissant
Qui semblait avoir fait provision de sang
Tremblaient confusément des débris de squelette
Qui d'eux-mêmes rendaient le cri d'une girouette
Ou d'une enseigne, au bout d'une tringle de fer
Que balance le vent pendant les nuits d'hiver