Charles Baudelaire
Le soleil
Le Soleil
Le long du vieux faubourg, où pendent aux masures
Les persiennes, abri des sécrètes luxures
Quand le soleil cruel frappe à traits redoublés
Sur la ville et les champs, sur les toits et les blés
Je vais m'exercer seul à ma fantasque escrime
Flairant dans tous les coins les hasards de la rime
Trébuchant sur les mots comme sur les pavés
Heurtant parfois des vers depuis longtemps rêvés
Ce père nourricier, ennemi des chloroses
Eveille dans les champs les vers comme les roses;
II fait s'évaporer les soucis vers le ciel
Et remplit les cerveaux et les ruches le miel
C'est lui qui rajeunit les porteurs de béquilles
Et les rend gais et doux comme des jeunes filles
Et commande aux moissons de croître et de mûrir
Dans le coeur immortel qui toujours veut fleurir!
Quand, ainsi qu'un poète, il descend dans les villes
II ennoblit le sort des choses les plus viles
Et s'introduit en roi, sans bruit et sans valets
Dans tous les hôpitaux et dans tous les palais
- Charles Baudelaire
The Sun
Along the old street on whose cottages are hung
The slatted shutters which hide secret lecheries
When the cruel sun strikes with increased blows
The city, the country, the roofs, and the wheat fields
I go alone to try my fanciful fencing
Scenting in every corner the chance of a rhyme
Stumbling over words as over paving stones
Colliding at times with lines dreamed of long ago
This foster-father, enemy of chlorosis
Makes verses bloom in the fields like roses;
He makes cares evaporate toward heaven
And fills with honey hives and brains alike
He rejuvenates those who go on crutches
And gives them the sweetness and gaiety of girls
And commands crops to flourish and ripen
In those immortal hearts which ever wish to bloom!
When, like a poet, he goes down into cities
He ennobles the fate of the lowliest things
And enters like a king, without servants or noise
All the hospitals and all the castles
- William Aggeler, The Flowers of Evil (Fresno, CA: Academy Library Guild, 1954)