Charles Baudelaire
L’Examen de minuit & Dorothée
La pendule, sonnant minuit
Ironiquement nous engage
À nous rappeler quel usage
Nous fîmes du jour qui s’enfuit :
— Aujourd’hui, date fatidique
Vendredi, treize, nous avons
Malgré tout ce que nous savons
Mené le train d’un hérétique
Nous avons blasphémé Jésus
Des Dieux le plus incontestable !
Comme un parasite à la table
De quelque monstrueux Crésus
Nous avons, pour plaire à la brute
Digne vassale des Démons
Insulté ce que nous aimons
Et flatté ce qui nous rebute ;
Contristé, servile bourreau
Le faible qu’à tort on méprise ;
Salué l’énorme Bêtise
La Bêtise au front de taureau ;
Baisé la stupide Matière
Avec grande dévotion
Et de la putréfaction
Béni la blafarde lumière
Enfin, nous avons, pour noyer
Le vertige dans le délire
Nous, prêtre orgueilleux de la Lyre
Dont la gloire est de déployer
L’ivresse des choses funèbres
Bu sans soif et mangé sans faim !…
— Vite soufflons la lampe, afin
De nous cacher dans les ténèbres !
***
C’est ici la case sacrée
Où cette fille très-parée
Tranquille et toujours préparée
D’une main éventant ses seins
Et son coude dans les coussins
Écoute pleurer les bassins :
C’est la chambre de Dorothée
— La brise et l’eau chantent au loin
Leur chanson de sanglots heurtée
Pour bercer cette enfant gâtée
Du haut en bas, avec grand soin
Sa peau délicate est frottée
D’huile odorante et de benjoin
— Des fleurs se pâment dans un coin