Georges Brassens
La Princesse et le croque-notes
Jadis, au lieu du jardin que voici
C’était la zone et tout ce qui s’ensuit
Des masures, des taudis insolites
Des ruines pas romaines pour un sou
Quant à la faune habitant là-dessous
C’était la fine fleur, c’était l’élite
La fine fleur, l’élite du pavé
Des besogneux, des gueux, des réprouvés
Des mendiants rivalisant de tares
Des chevaux de retour, des propre’-à-rien
Ainsi qu’un croque-notes, un musicien
Une épave accrochée à sa guitare
Adopté’ par ce beau monde attendri
Une petite fée avait fleuri
Au milieu de toute cette bassesse
Comme on l’avait trouvé’ près du ruisseau
Abandonnée en un somptueux berceau
A tout hasard on l’appelait “princesse”
Or, un soir, Dieu du ciel, protégez-nous !
La voilà qui monte sur les genoux
Du croque-notes et doucement soupire
En rougissant quand même un petit peu :
“C’est toi que j’aime et, si tu veux, tu peux
M’embrasser sur la bouche et même pire...”
“– Tout beau, princesse arrête un peu ton tir
J’ai pas tell’ment l’étoffe du satyr’
Tu as treize ans, j’en ai trente qui sonnent
Gross’ différence et je ne suis pas chaud
Pour tâter d’la paille humid’ du cachot...
– Mais, Croque-not’s, j’dirai rien à personne...”
– N’insiste pas, fit-il d’un ton railleur
D’abord, tu n’es pas mon genre, et d’ailleurs
Mon coeur est déjà pris par une grande...”
Alors Princesse est partie en courant
Alors Princesse est partie en pleurant
Chagrine qu’on ait boudé son offrande
Y’a pas eu détournement de mineure
Le croque-notes, au matin, de bonne heure
A l’anglaise a filé dans la charrette
Des chiffonniers en grattant sa guitare
Passant par là, quelques vingt ans plus tard
Il a le sentiment qu’il le regrette