Georges Brassens
A mon frère revenant d’Italie
Ainsi, mon cher, tu t'en reviens
Du pays dont je me souviens
Comme d'un rêve
De ces beaux lieux où l'oranger
Naquit pour nous dédommager
Du péché d'Eve
Tu l'as vu, ce fantôme altier
Qui jadis eut le monde entier
Sous son empire
César dans sa pourpre est tombé
Dans un petit manteau d'abbé
Sa veuve expire
Tu t'es bercé sur ce flot pur
Où Naples enchâsse dans l'azur
Sa mosaïque
Oreiller des lazzaroni
Où sont nés le macaroni
Et la musique
Qu'il soit rusé, simple ou moqueur
N'est-ce pas qu'il nous laisse au cœur
Un charme étrange
Ce peuple ami de la gaieté
Qui donnerait gloire et beauté
Pour une orange
Ischia ! c'est là qu'on a des yeux
C'est là qu'un corsage amoureux
Serre la hanche
Sur un bas rouge bien tiré
Brille, sous le jupon doré
La mule blanche
Pauvre Ischia ! bien des gens n'ont vu
Tes jeunes filles que pied nu
Dans la poussière
On les endimanche à prix d'or
Mais ton pur soleil brille encor
Sur leur misère
Quoi qu'il en soit, il est certain
Que l'on ne parle pas latin
Dans les Abruzzes
Et que jamais un postillon
N'y sera l'enfant d'Apollon
Ni des neuf Muses
Toits superbes ! froids monuments
Linceul d'or sur des ossements
Ci-gît Venise
Là mon pauvre cœur est resté
S'il doit m'en être rapporté
Dieu le conduise
Mais de quoi vais-je ici parler
Que ferait l'homme désolé
Quand toi, cher frère
Ces lieux où j'ai failli mourir
Tu t'en viens de les parcourir
Pour te distraire
Frère, ne t'en va plus si loin
D'un peu d'aide j'ai grand besoin
Quoi qu'il m'advienne
Je ne sais où va mon chemin
Mais je marche mieux quand ta main
Serre la mienne