Jean Ferrat
L’homme à l’oreille coupée
Ce qui poussait toujours Vincent
A peindre ces incandescents
Soleils jaunes et tournoyants
Tout ce qui a fait de Lautrec
Cet oiseau noir claquant du bec
Aux carreaux des bistrots du Tertre
Et ce qui en poussa bien d'autres
Gueules d'archange, gueules d'apôtre
A se fuir dans tous les miroirs
C'était le même désespoir
Et l'homme à l'oreille coupée
Me traînait toujours à ses pieds
Comme la terre à ses souliers
Ce qui chassait toujours Vincent
Du chemin des honnêtes gens
Jusque dans sa chambre aux murs blancs
Tout ce qui a fait grimacer
Toulouse durant des années
Du même rire désespéré
Et ce qui en chassa bien d'autres
Gueules d'archange, gueules d'apôtre
De l'aube grise jusqu'au soir
C'était le même désespoir
Et l'homme à l'oreille coupée
Me traînait toujours à ses pieds
Comme la terre à ses souliers
Ce qui a crucifié Vincent
Sur sa toile durant trente ans
Un pinceau bleu entre les dents
Et ce qui épingla Lautrec
Sous les lampes comme un insecte
Du Moulin Rouge à la rue Berthe
Oui, ces deux-là et tous les autres
Gueules d'archange, gueules d'apôtre
Ont-ils enfin trouvé l'espoir
De l'autre côté du miroir