Jean Ferrat
Caserne
Blanchis les troncs des marronniers
Tous au carré bien alignés
Rouges les toits rouges les briques
Bleu le ciment patriotique
Et pas une herbe dans la cour
Pour nous passer le mal d'amour
Ici tout est réglementaire
Pas un caillou n'est de travers
Murs en béton chevaux de frise
Y'a que les barbelés qui frisent

En rang par trois pas cadencé
Sous l'oeil attendri des bouchers
On maquignonne il faudrait voir
Pour les augustes abattoirs
Ici le monde est chamboulé
Les assassins sont galonnés
Partout la crasse et la bêtise
Ces deux vertus de l'entreprise
Partout la raison du plus fort
Sous le badigeon tricolore

Je reste à toi ma solitude
Dans le troupeau des habitudes
Et jusque dans le désarroi
Quand le poète est aux abois
Pour tous les moutons qui consentent
Je suis la rage impénitente
Seul au milieu de la débine
C'est à moi seul que je jaspine
Holà de la philanthropille
Y'a des consciences qui roupillent
Blanchis les troncs des marronniers
Tous au carré bien alignés
Rouges les toits rouges les briques
Bleu le ciment patriotique
Et pas une herbe dans la cour
Pour nous passer le mal d'amour...