Victor Hugo
Je respire où tu palpites
Je respire où tu palpites
Tu sais ; à quoi bon, hélas !
Rester là si tu me quittes
Et vivre si tu t'en vas ?
A quoi bon vivre, étant l'ombre
De cet ange qui s'enfuit ?
A quoi bon, sous le ciel sombre
N'être plus que de la nuit ?
Je suis la fleur des murailles
Dont avril est le seul bien
Il suffit que tu t'en ailles
Pour qu'il ne reste plus rien
Tu m'entoures d'Auréoles ;
Te voir est mon seul souci
Il suffit que tu t'envoles
Pour que je m'envole aussi
Si tu pars, mon front se penche ;
Mon âme au ciel, son berceau
Fuira, car dans ta main blanche
Tu tiens ce sauvage oiseau
Que veux-tu que je devienne
Si je n'entends plus ton pas ?
Est-ce ta vie ou la mienne
Qui s'en va ? Je ne sais pas
Quand mon orage succombe
J'en reprends dans ton cœur pur ;
Je suis comme la colombe
Qui vient boire au lac d'azur
L'amour fait comprendre à l'âme
L'univers, sombre et béni ;
Et cette petite flamme
Seule éclaire l'infini
Sans toi, toute la nature
N'est plus qu'un cachot fermé
Où je vais à l'aventure
Pâle et n'étant plus aimé
Sans toi, tout s'effeuille et tombe ;
L'ombre emplit mon noir sourcil ;
Une fête est une tombe
La patrie est un exil
Je t'implore et réclame ;
Ne fuis pas loin de mes maux
O fauvette de mon âme
Qui chantes dans mes rameaux !
De quoi puis-je avoir envie
De quoi puis-je avoir effroi
Que ferai-je dans la vie
Si tu n'es plus près de moi ?
Tu portes dans la lumière
Tu portes dans les buissons
Sur une aile ma prière
Et sur l'autre mes chansons
Que dirai-je aux champs que voile
L'inconsolable douleur ?
Que ferai-je de l'étoile ?
Que ferai-je de la fleur ?
Que dirai-je au bois morose
Qu'illuminait ta douceur ?
Que répondrai-je à la rose
Disant : " Où donc est ma sœur ?"
J'en mourrai ; fuis, si tu l'oses
A quoi bon, jours révolus !
Regarder toutes ces choses
Qu'elle ne regarde plus ?
Que ferai-je de la lyre
De la vertu, du destin ?
Hélas ! et, sans ton sourire
Que ferai-je du matin ?
Que ferai-je, seul et farouche
Sans toi, du jour et des cieux
De mes baisers sans ta bouche
Et de mes pleurs sans tes yeux !