Victor Hugo
À cette terre
À cette terre, où l'on ploie
Sa tente au déclin du jour
Ne demande pas la joie
Contente-toi de l'amour!

Excepté lui, tout s'efface
La vie est un sombre lieu
Où chaque chose qui passe
Ébauche l'homme pour Dieu

L'homme est l'arbre à qui la sève
Manque avant qu'il soit en fleur
Son sort jamais ne s'achève
Que du côté du malheur

Tous cherchent la joie ensеmble;
L'esprit rit à tout venant;
Chacun tеnd sa main qui tremble
Vers quelque objet rayonnant

Mais vers toute âme, humble ou fière
Le malheur monte à pas lourds
Comme un spectre aux pieds de pierre;
Le reste flotte toujours!

Tout nous manque, hormis la peine!
Le bonheur, pour l'homme en pleurs
N'est qu'une figure vaine
De choses qui sont ailleurs
L'espoir c'est l'aube incertaine ;
Sur notre but sérieux
C'est la dorure lointaine
D'un rayon mystérieux

C'est le reflet, brume ou flamme
Que dans leur calme éternel
Versent d'en haut sur notre âme
Les félicités du ciel

Ce reflet des biens sans nombre
Nous l'appelons le bonheur;
Et nous voulons saisir l'ombre
Quand la chose est au Seigneur!

Va, si haut nul ne s'élève;
Sur terre il faut demeurer;
On sourit de ce qu'on rêve
Mais ce qu'on a, fait pleurer

Soyons deux! - Tout nous convie
À nous aimer jusqu'au soir
N'ayons à deux qu'une vie!
N'ayons à deux qu'un espoir!

Dans ce monde de mensonges
Moi, j'aimerai mes douleurs
Si mes rêves sont tes songes
Si mes larmes sont tes pleurs!