Gabriel Fauré
Cygne sur l’eau
Ma pensée est un cygne harmonieux et sage
Qui glisse lentement aux rivages d’ennui
Sur les ondes sans fond du rêve, du mirage
De l’écho, du brouillard, de l’ombre, de la nuit
Il glisse, roi hautain fendant un libre espace
Poursuit un reflet vain, précieux et changeant
Et les roseaux nombreux s’inclinent lorsqu’il passe
Sombre et muet, au seuil d’une lune d’argent;
Et des blancs nénuphars chaque corolle ronde
Tour à tour a fleuri de désir ou d’espoir…
Mais plus avant toujours, sur la brume et sur l’onde
Vers l’inconnu fuyant glisse le cygne noir
Or j’ai dit : « Renoncez, beau cygne chimérique
À ce voyage lent vers de troubles destins;
Nul miracle chinois, nulle étrange Amérique
Ne vous accueilleront en des havres certains;
Les golfes embaumés, les îles immortelles
Ont pour vous, cygne noir, des récifs périlleux;
Demeurez sur les lacs où se mirent, fidèles
Ces nuages, ces fleurs, ces astres et ces yeux