Gabriel Fauré
Reflets dans l’eau
Étendue au seuil du bassin
Dans l'eau plus froide que le sein
Des vierges sages
J'ai reflété mon vague ennui
Mes yeux profonds couleur de nuit
Et mon visage
Et dans ce miroir incertain
J'ai vu de merveilleux matins…
J'ai vu des choses
Pâles comme des souvenirs
Dans l'eau que ne saurait ternir
Nul vent morose
Alors -- au fond du Passé bleu --
Mon corps mince n'était qu'un peu
D'ombre mouvantе;
Sous les lauriers et lеs cyprès
[j'aimais]1 la brise au souffle frais
Qui nous évente…
J'aimais vos caresses de sœur
Vos nuances, votre douceur
Aube opportune;
Et votre pas souple et rythmé
Nymphes au rire parfumé
Au teint de lune;
Et le galop des aegypans
Et la fontaine qui s'épand
En larmes fades…
Par les bois secrets et divins
J'écoutais frissonner sans fin
L'hamadryade
Ô cher Passé mystérieux
Qui vous reflétez dans mes yeux
Comme un nuage
Il me serait plaisant et doux
Passé, d'essayer avec vous
Le long voyage!…
Si je glisse, les eaux feront
Un rond fluide… un autre rond…
Un autre à peine…
Et puis le miroir enchanté
Reprendra sa limpidité
Froide et sereine