[Couplet 1]
De ma f'nêtre, j'vois les élèves du lycée Rodin qui sortent de cours en poussant des cris d'joie
Les garçons paradent, ils ont l'air pleins d'sève
Et les leggings des filles serrent leurs jambes et leurs fesses encore fermes
J'aurais bien aimé connaître le lycée public
Apprendre la vie au bon moment, être à l'aise, un peu couillu et effronté, faire ma puberté dans les temps
Piquer des trucs dans les supermarchés, perdre mon pucelage tôt
Me prendre des droites et en donner quelques-unes en retour sans m'écraser
Mais ça a pas été l'cas, non, loin d'là
Moi, j'étais plutôt d'ceux qui rasent les murs, qui font pas d'vagues, un genre de grenade
Un gentil p'tit collabo coincé du cul et peureux comme y a pas
Qui fait tout bien comme on lui d'mande, qui s'lève tôt, s'couche tôt et travaille quand il faut
Mes parents m'ont pas forcé, j'ai fait ça tout seul comme un grand
Puis j'me suis obstiné durant des années, forcément ça a fini par m'jouer des tours, depuis j'essaie d'faire avec
J'essaie de faire dévier l'sillon, ce sera pas facile, non
Heureusement j'suis pas seul pour faire taire la voix qui m'répète :
[Pré-refrain]
« Tu seras lâche et impuissant, résigné, soumis, déprimant, insuffisant
Pas adapté, spectateur dans l'fossé
Tu seras tout seul, divorcé, sans enfants, remarié
Alcoolo, adultère, fils indigne, mauvais frère
Tu seras amer, trop sévère, malheureux, toujours en colère
Méprisable, imbuvable, égoïste, insupportable
Tu seras c'qu'on t'dit, tu discutes pas
Ici-bas, c'est comme ça, t'as compris l'jeu, p'tit merdeux ? C'est la roulette
Tu choisis pas »
Ah ouais ? Tu crois ça ?
Et bah, écoute, j'sais pas pour toi mais pour moi, ce sera
[Refrain]
La tête haute
Un poing sur la table
Et l'autre en l'air, fais-moi confiance avant d'finir six pieds sous terre
J'aurai vécu tout c'qu'il y a à vivre et j'aurai fait tout c'que j'peux faire
Tenté tout c'qu'il y a à tenter
Et surtout j'aurais aimé
[Couplet 2]
De ma f'nêtre, je vois les gens qui partent au taf
Il y en a qui ont fière allure, avec leurs beaux manteaux et leurs belles chaussures
D'autres au contraire ont l'air de ramasser sévère
Toutes celles et ceux qui s'en vont une fois d'plus servir la soupe aux autres
Ma conscience de p'tit blanc m'rattrape aussitôt :
« Tu vois ? Tu d'vrais arrêter d'te plaindre »
Et pourtant je sais pas : est-ce qu'on nous qui sommes dev'nus des baltringues ou bien est-ce que c'est l'monde qui part en vrille ? Parfois j'me dis
Qu'on nous a tellement habitués au goût d'la culpabilité, qu'on est dev'nus
Incapables d'y voir clair
Par exemple, moi, pendant longtemps j'me suis acharné à m'ranger dans une boîte
À avoir une vie normale sans accrocs, sans risques, sans drames
Avoir un métier normal, un salaire normal, des sentiments normaux, une femme normale, une mort normale, et cætera, et cætera
Mais j'ai pas pu, c'tait trop pour moi, j'tais pas assez endurant, alors à la place, j'ai cherché une feinte pour vivre dignement et aujourd'hui j'me saigne
Pour essayer d'aider les miens d'la bonne façon, d'agir
Selon des nobles fins et un jour enfin donner tort à cette voix qui m'répète :
[Pré-refrain]
« Tu seras dominant ou noyé, écrasant ou écrasé
Carnassier ou dispensable, gagnant ou donnée négligeable
Tu seras semblable à tes semblables
Comme tout l'monde ou dégradable
Plus malin ou trou du cul, tortionnaire ou corrompu
Tu seras battu et silencieux, ou bien cruel mais victorieux
Rigoureux ou inutile, féroce ou détail futile
Tu seras c'qu'on t'dit, tu discutes pas
Ici-bas, c'est comme ça, t'as compris l'jeu, p'tit merdeux ? C'est la roulette
Tu choisis pas »
Ah ouais ? Tu crois ça ?
Mais écoute, j'sais pas pour toi mais pour moi, ce sera
[Refrain]
La tête haute
Un poing sur la table
Et l'autre en l'air, fais-moi confiance avant d'finir six pieds sous terre
J'aurai vécu tout c'qu'il y a à vivre et j'aurai fait tout c'que j'peux faire
Tenté tout c'qu'il y a à tenter
Et surtout, et surtout, j'aurais aimé
[Couplet 3]
De ma f'nêtre, j'vois un bout d'l'enceinte de l'hôpital
Si j'penche un peu la tête, j'peux p't-être arriver à voir le bâtiment des consultations
J'repense à toutes ces fois où on m'a dit : « T'es trop sensible
Mais ça va aller, fais pas cette tête, bon, OK, ce sera p't-être pas tous les jours la fête »
Et l'docteur d'la tête qui m'répète que c'est comme ça
Qu'il faut qu'j'l'accepte, que c'est comme le diabète, qu'il faut vivre avec
Alors j'essaie chaque jour que Dieu fait
Et j'ai pas dit mon dernier mot, t'inquiètes
Y a rien d'écrit, rien écrit et nique la voix qui m'dit :
[Pré-refrain]
« Tu seras schizo, bipolaire, trop fragile, suicidaire
Tyrannique, incurable, repoussant, pas r'gardable
Tu seras sadique, narcissique, voyeur, pervers, égocentrique
Destructeur, dépressif, obsessionnel, compulsif
Tu seras damné, condamné, étendu sur la chaussée
Déformé, mal branlé, démoli, trois fois rejeté
Tu seras c'qu'on t'dit, tu discutes pas
Ici-bas, c'est comme ça, t'as compris l'jeu, p'tit merdeux ? C'est la roulette
Tu choisis pas »
Ah ouais ? Tu crois ça ?
Et bah, écoute, j'sais pas pour toi mais pour moi, ce sera
[Refrain]
La tête haute
Les couilles sur la table
Le poing en l'air, fais-moi confiance avant d'finir six pieds sous terre
J'aurai vécu tout c'qu'il y a à vivre et j'aurai fait tout c'que j'peux faire
Tenté tout ce qu'il y a à tenter
Et surtout, on m'aura aimé