Le phénomène de médiatisation du rap dans les années 2000 a entrainé l’émergence puis un accroissement de popularité de médias de masse spécialisés : Skyrock, Trace TV, Booska-P, et autrefois R.E.R et Rap Mag pour la presse écrite. Pour certains, ces médias seraient responsables d’une perte d’authenticité dans le rap, en tentant de faire de cette musique un courant « tendance » et d’en tirer profit en multipliant les intermédiaires pour les artistes souhaitant se faire connaître. Mais depuis quelques temps, Internet tend à changer la donne. Et ce notamment grâce aux réseaux sociaux. Lalcko en témoigne : « À l’arrivée des médias sociaux et d’Internet, il y a eu des prémices. L’industrie du rap se mordait la queue. On était dans des schémas qu’on avait déjà exploités plusieurs fois avec une seule vérité au fond : il fallait avoir de l’argent pour être diffuser et se faire connaître. Car à l'époque ceux qui ont le talent résistent mais pour résister il faut survivre. Or seuls ceux qui ont de l’argent survivent. Le rap via Internet et sa diffusion nous a donné la possibilité de toucher un maximum de personnes sans rendre de compte à un média censeur qui va nous dire ce qu’on peut dire ou pas. En ce sens, il y a eu d'abord les premières interviews diffusées sur YouTube, les clips qu’on postait nous-mêmes ou du moins par ceux qu’on a appelé par la suite nos community managers. Il y a eu une émulation, tout le monde ne savait pas forcément comment utiliser ces nouveaux médias, certains étaient plus en avance que d’autres. »La médiatisation du rap et Internet à l’origine de l’émergence de médias alternatifsLa médiatisation du rap a aussi du bon. Les auditeurs se font de plus en plus nombreux, les passionnés aussi, et on trouve désormais un nombre impressionnant d’études aussi bien historiques que sociologiques faisant indéniablement du rap une culture à part entière, même auprès des plus sceptiques. D’ailleurs Zoxea remarque : « cette médiatisation nous a permis d'exposer notre musique aux yeux d'un plus grand nombre de personne et donc de générer plus de profit d'une manière générale. ». Des blogs et des pages sur les réseaux sociaux apparaissent et ont autant de légitimité, si ce n’est plus, que les médias rap traditionnels du fait de leurs connaissances pointues du milieu. Et on retrouve alors la sincérité et l’authenticité qui représentent tant le rap à l’origine. Les auteurs des blogs et propriétaires des comptes Facebook et Twitter des différentes pages écrivent pour la plupart gratuitement. Les sujets traités et les artistes diffusés en leur sein sont choisis en toute indépendance, loin de l’influence que peuvent avoir les majors et les grands médias. Les liens sont alors redéfinis et on peut même parler de désintermédiation : il est désormais simple pour un artiste qui souhaite se faire connaitre d’entrer en contact avec un blog (qui en général dispose de sa propre page sur les réseaux sociaux, ce qui étend encore plus sa diffusion) et donc avec les auditeurs.
D’autant plus que si on sort des grands médias spécialisés, le rap est souvent victime d’une interprétation et donc d’une exposition biaisée. Le rappeur n’y est pas considéré comme un artiste mais plutôt comme un porte-parole de la société, la plupart du temps des banlieues. S’il veut obtenir un plateau télé ou une couv’ dans un quotidien national, il doit fournir davantage d’efforts qu’un artiste lambda. Et lorsqu’il est enfin invité, c’est souvent pour s’exprimer au sujet d’un scandale, d’un problème de société ou alors pour ses ventes exceptionnelles. Loin de moi l’idée de proposer un article victimaire, mais quand avez-vous vu un rappeur exposer sa dimension artistique sur les grandes chaînes de télévision pour la dernière fois ?Les auditeurs ont le pouvoirDésormais, plus besoin de suivre des études de journalisme pour pouvoir écrire et publier un article. Chaque auditeur peut s’il le souhaite être son propre média et en faire adhérer les autres. Au final, ce sont eux qui ont le pouvoir, ce qui est un avantage indéniable pour Take-A-Mic : «Il semble évident de dire qu'internet est un média qui permet à tous de "se montrer". Comme tous les rappeurs de la nouvelle génération, les réseaux sociaux sont indispensables pour se faire connaître et surtout écouter dans le milieu. Aujourd'hui on compte en nombres de vues. Par conséquent il est aussi plus accessible à tous d'avoir sa chance et de là ressort une plus forte concurrence. » . Pour autant, une vue sur YouTube ou une écoute sur SoundCloud ne signifie pas forcément un suiveur ou un acheteur. Les réseaux sociaux sont un outil de diffusion certes, mais à l’artiste ensuite de faire adhérer et de fidéliser les auditeurs qui se rendront sur ses différentes pages, et ce avant tout par sa musique et pas seulement par l’image.
Le schéma de diffusion classique n’est plus respecté. Ainsi, aujourd’hui nombreux sont les artistes rap qui connaissent d’abord une certaine notoriété sur la toile grâce à l’adhésion des auditeurs à leur musique avant de se faire repérer par une major et de se voir diffuser par les grands médias, comme le souligne Take-A-Mic : « Je pense qu'il est possible de réussir sans passer par ces médias, cependant à partir d'une certaine popularité, il est inévitable de se retrouver sur ces derniers. ». Zoxea confirme ce point de vue : « Évidemment que c'est utile pour un rappeur de passer par les médias traditionnels car ils constituent encore et toujours une force de frappe non négligeable en terme d'impact médiatique. Ce serait donc dommage de s'en couper sous prétexte qu'une nouvelle forme de diffusion s'impose également par le biais d'Internet. ». Les propos tenus par Lalcko sont plus nuancés : « Je pense que le principe du média est de diffuser en un temps réduit au plus grand nombre ou alors de diffuser de façon fidèle, être le véhicule du message. Par essence, dans le rap on est à cheval entre le divertissement et l’engagement en utilisant parfois un discours social donc forcément on ne sait pas sur quel pied danser. Parce que la 1e optique nous imposerait d’aller tout de suite chez Skyrock, Trace TV, NRJ, pour toucher le plus grand nombre. Et la deuxième optique est que la volonté de passer un message particulier à une cible particulière peut aussi nous pousser à des réflexes d’exclusion de ces médias-là. »Face aux réseaux sociaux, les rappeurs se doivent de repenser leur communicationLes réseaux sociaux tendent à faire disparaître les frontières entre l’artiste et son public. La communication ne se fait plus uniquement dans un seul sens. Il y a alors une véritable réciprocité dans les échanges entre l’artiste et son public qui se doivent d’être constructifs malgré les éventuelles critiques. Rohff est un exemple parfait du plus gros fail de ces dernières années en terme de communication sur les réseaux sociaux. D’une part, parce que la manière dont il s’adresse à son public via son compte Twitter est consternante, d’autre part parce qu’il se décrédibilise en justifiant les ventes décevantes de son album « La Cuenta » sorti en décembre 2008 par les chutes de neige (source Haterz.fr). La spontanéité des rappeurs dans la publication de contenus est certes une bonne chose mais peut être aussi un risque en terme d’image. Les réseaux sociaux sont certes des outils simples à utiliser, ce qui ne veut pas dire que s’y implanter doit être pris à la légère, bien au contraire. Cette décision doit faire partie d’une véritable stratégie de communication qui doit être réfléchie au préalable (le contenu partagé, la fréquence de partage, la manière de s’adresser au public…). Lalcko va même plus loin : « Pour moi il est avant tout important de travailler son message en amont, et sur l’information qu’on diffuse pour qu’elle trouve le canal qui l'accepte. ». Il ajoute : « Les réseaux sociaux représentent un flux que je digère mais je ne communique pas beaucoup car je suis du type d’artiste qui estime qu’il ne faut parler que lorsqu’on a des choses à dire. Je ne suis pas contre pour autant. Mais pour moi, les réseaux sociaux ne sont pas la solution à nos problèmes. »
Selon Take-A-Mic, « les réseaux sociaux permettent de créer des liens forts avec les auditeurs, grâce à une proximité et à un suivi quotidien ». Zoxea ajoute : « Nous sommes présent sur les réseaux sociaux depuis le début. Heureusement que nous sommes monté dans le train au départ car ça nous permet d'entretenir toujours un lien fort avec notre "Base-fan" et qui plus est de générer des nouveaux publics augmentant ainsi les rangs de nos supporters.». Pour le public, il apparaît désormais presque normal que l’artiste lui consacre du temps via les réseaux sociaux.Des limites à ne pas sous-estimerEt c’est là un des points négatifs de ce type d’outils selon moi : les réseaux sociaux viennent démystifier la relation « artiste-auditeur » en permettant un contact direct, et pourraient parfois réduire l’esprit critique d’un artiste, voire même des auditeurs. Zoxea ajoute à ce sujet : « les réseaux sociaux permettent de rester connecter avec les auditeurs, d'échanger, partager et voir débattre avec eux mais un artiste doit aussi garder une certaine distance sans être hautain bien sûr ». C’est un peu un cercle pervers : l’artiste reçoit des critiques positives sur Facebook et Twitter provenant d’auditeurs qui sont ravis d’être lus directement par cet artiste (ne parlons même pas des retweets, preuve ultime de lecture), il est alors difficile pour certains rappeurs d’accepter une éventuelle remarque négative. Fort heureusement, la plupart des auditeurs présents sur les réseaux sociaux sont lucides et ne mettent pas en avant un rappeur en fonction de son image mais pour la qualité de ses sons. C’est comme cela qu’émergent la majorité des rappeurs désormais, grâce à une communauté d’amateurs de bon son rap passionnés. De ce fait, chacun est un élément qui construit la communication de l’artiste : les auditeurs le repèrent, le font connaître et participent ainsi indirectement à sa renommée.
Mais les réseaux sociaux ne suffisent pas pour établir le contact entre un artiste et ses auditeurs. D’ailleurs pour Take-A-Mic, « outre les réseaux sociaux, je pense que la scène renforce ces liens. ». En bref, ne pas se contenter de partir à la rencontre de son public de manière virtuelle, il faut également être « sur le terrain ». Zoxea valide cette idée : « le meilleur moyen de communiquer avec eux à mon avis reste l'échange réel, le contact pendant et après les concerts, les poignées de main dans la rue car nous sommes avant tout et encore heureux des humains. ». Lalcko a un avis bien plus tranché sur la question du lien qu'établit un artiste avec son public via les réseaux sociaux : « Le réseau social est avant tout un média. Depuis quand est-il important de créer des liens ? C’est quelque chose qui est un terme économique issu du principe de la fidélisation. Qui dit fidélisation dit client, qui dit client dit clientélisme, c’est une façon de voir les choses. Si on est dans le clientélisme, alors on se considère soit comme un distributeur soit comme un produit. Je sais que le lien est important mais ce qui est plus important que le lien selon moi c'est de diffuser ma musique et que les gens l’apprécient. Je veux que les gens aient un lien avec ma musique mais pas forcément avec moi. Qui suis-je à part quelqu’un qui produit de la musique ? Personne. Je vois aujourd’hui des artistes qui arrivent à entretenir des rapports permanents et constants au point de ne plus être des artistes car ils ne créent pas d’œuvre, ils ne produisent pas, ils ne s’investissent pas dans le monde culturel ni social. Rien que pour ce qu’ils sont, ils communiquent avec les gens, pour parler de tout et de rien. Aujourd’hui on essaie de combler un vide, on veut créer des idoles et des référents permanents. Je peux entretenir une forme de complicité avec les gens qui partagent mon son parce que ce sont avant tout des amateurs de son tout comme moi, mais sans aller au-delà. On est en train de segmenter quelque chose qui n’a pas forcément besoin de l’être, la musique à la base, c’est de la musique et rien d’autre. Ce que je veux créer c’est de l’étonnement, de l’émulation. Je conseille à la nouvelle génération d’artistes de produire de la musique pour continuer à faire vivre notre paysage culturel. »
Finalement, Internet représente une opportunité de diffusion considérable pour la musique rap. Les réseaux sociaux constituent un mode d’information et de diffusion indéniable qui complète les médias rap traditionnels, en plus d’être un outil de communication extrêmement puissant pour les artistes. Le schéma marketing reste néanmoins à construire pour permettre une utilisation pérenne de ces outils 2.0 pour la diffusion et la promotion des rappeurs.
Merci à Take A Mic, Zoxea et Lalcko
La mixtape « Résolutions » de Take-A-Mic est disponible ici : http://skwere.fr/take-a-mic-resolutions/
Il sera en concert prochainement à Grigny et à Saint-Denis
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Lalcko prépare un futur opus pour 2014. En attendant, suivez son actualité sur son compte Twitter : @Lalcko et sa page Facebook : https://www.facebook.com/Lalckomusic